Introduction
Ethan Drake descendit du petit bateau affrété avant l’aube, la brise chargée de l’odeur salée de l’océan serrant sa poitrine d’une tension sourde. Il s’arrêta au bord de l’eau, le regard fixé sur la silhouette dentelée de l’île qui se dessinait à l’horizon. Les rumeurs l’avaient précédé : un lopin de terre isolé, loin de toute civilisation, où rôdaient des gibiers que peu avaient affrontés et dont encore moins étaient revenus raconter l’histoire. Chasseur chevronné, il avait traqué les lions en Afrique, affronté les pumas dans l’Ouest américain et fait face aux sangliers furieux dans les forêts européennes — mais rien ne l’avait préparé à l’invitation de Morgan. La lettre était arrivée deux semaines plus tôt : une offre pour tester ses compétences contre la plus dangereuse des proies, sur une île que peu de non-initiés savaient même localiser. Il ajusta les sangles de son sac en cuir, vérifia la munition logée dans la chambre de son fusil sur mesure, puis expira lentement. Un brouillard matinal s’enroulait autour des palmiers et des figuiers étrangleurs, tandis que des perles de condensation pendaient aux lianes basses. Quelque part dans ce fouillis, une présence l’observait, mi-curiosité, mi-malice. Il était venu pour un trophée, une histoire jamais égalée. À la place, il découvrirait des pièges taillés dans l’ancestrale roche, des ombres murmurant sous la végétation et un adversaire assez habile pour anticiper chacun de ses gestes. Mais pour l’instant, seul régnait le frisson de l’arrivée, son cœur battant si fort qu’il en résonnait dans ses oreilles alors que la lumière glissait sur l’horizon. C’était l’instant parfait pour un chasseur vraiment vivant.
Dans la jungle : Arrivée et premières épreuves
Ethan progressa sur un sentier étroit, tracé à travers les fougères et les branches couvertes de mousse, chaque pas étouffé par un épais manteau de feuilles humides. L’intérieur de l’île se dévoilait progressivement : d’imposants figuiers étrangleurs dressés comme de vieux gardiens, des troncs de palmiers courbés sous le poids des régimes juteux. L’air était lourd, chaque inspiration embaumée par le parfum de la décomposition et de la vie naissante. Les grillons fredonnaient sous le couvert, les cigales cliquetaient dans la canopée, et quelque part, entre d’épais enchevêtrements de lianes, le grondement lointain d’un éboulement de pierres signalait la présence d’eau vive. Il s’arrêta devant une pente rocheuse, se baissa pour examiner une empreinte fraîche qui s’écartait du tracé animal qu’il suivait. Elle semblait humaine, mais le motif trahissait autre chose — une assurance, une économie de gestes propres à un expert invisible.

Ethan laissa son sac à terre et sortit un petit carnet de terrain, notant la profondeur et l’écartement des pas. Un chasseur aguerri sait lire ces signes, et celui-ci portait l’empreinte d’une intention. Il revint à la lettre de Morgan Finch, figure énigmatique dont la réputation pour des expéditions périlleuses circulait en sourdine dans les cercles les plus fermés. Finch lui promettait une chasse à la hauteur de ses limites. Tandis que son pouls s’accélérait à cette perspective, un frisson d’inquiétude lui parcourut l’échine. Il sortit un stylo-bille, croqua rapidement la forme de l’empreinte, puis se redressa. Immédiatement, le monde sembla changer : un bruissement derrière lui, un vert froissé se déchirant dans les feuilles. Il pivotait, fusil à l’épaule, le doigt effleurant la queue de détente, scrutant la végétation dense. Rien ne bougeait. Seules des ombres s’accrochaient à chaque tronc, chaque rocher.
Le cœur battant, il longea le flanc d’un ravin escarpé, progressant avec précaution pour ne pas trahir sa présence. Un filet d’eau serpentait dans la gorge ; il le suivit jusqu’à une vasque d’eau blanche tourbillonnante creusée dans la pierre, où il s’arrêta pour remplir sa gourde. Agenouillé, il s’imaginait au faîte de chaque chasse qu’il avait connue : silencieux, infatigable, maître de lui. Pourtant, cette île avait ses propres lois ; il se sentait un intrus dans un royaume inflexible. Il s’obligea à avaler une barre énergétique, déchirant l’emballage jusqu’à son cœur dense au chocolat. Le froissement du plastique résonna étrangement dans le silence de la forêt. Il leva la tête, ses yeux scrutant des branches qui tremblaient sans qu’aucun souffle de vent ne les caresse. Il sentit des observateurs, compta les battements de l’aiguille de sa montre alors que les derniers rayons du jour se glissaient sous la canopée. Il se redressa, sécurisa son sac et remonta méthodiquement vers un terrain plus élevé.
Le renversement : Quand le chasseur devient la proie
Cette nuit-là, le tonnerre roulait au loin et les lianes fouettaient sa bâche tandis que des rafales bourgeonnaient de la mer ouverte. Ethan resta éveillé, chaque goutte de pluie tambourinant sur la toile comme un glas. Il ne se pardonnait pas d’avoir sombré dans l’excès de confiance — Morgan Finch l’avait averti : les plus grands chasseurs oublient souvent les dangers les plus simples. Dans la fournaise de son expérience, il se répétait qu’il saurait s’adapter. Mais il n’avait pas envisagé que Finch utiliserait la même maîtrise du terrain pour ourdir un piège.

Au début, c’était subtil : un repère disparu là où un éclat de peinture blanche marquait autrefois un jeune tronc, un laçage de câble dissimulé sous un tapis de feuilles qui se referma brusquement lorsqu’il posa le pied dessus. Sa cheville se raidit contre la corde, une douleur fulgurante lui remonta dans la jambe, suivie de la terreur éveillée d’une force le tirant en arrière. Il asséna le fut de son fusil contre la terre détrempée. Le nœud tint, mais sa botte fut suffisamment déchirée pour mêler sang et boue. Drake jura entre ses dents, dégagea le piège et repartit en boitant : il comprit que Finch l’étudiait autant qu’il observait l’île. Chaque pas risquait désormais de l’attirer vers des engins au ménagement cruel : un appât destiné à le prendre vivant.
Il chercha un point de vue en hauteur, escalada le versant du vallon pour dominer la lisière forestière. Des formes sombres se mêlaient aux frondaisons, évoquant des yeux humains tapis dans le couvert. Un faisceau lunaire éclaira un profil mince, perché derrière un rocher, fondu dans un camouflage si parfait que la nuit elle-même peinait à le dévoiler. Cette prise de conscience emporta la dernière parcelle de confiance de Drake : il était traqué. Ses instincts de chasseur reprirent le dessus ; il s’enfonça plus avant dans la brousse. Les branches l’agrippaient, les lianes s’accrochaient à ses jambes, mais il savait qu’un seul faux pas pouvait être le dernier. Il décrocha une grenade fumigène, son amorce crépita doucement, et il la lança dans une clairière. Quand l’épais nuage s’éleva, il bondit à travers le rideau de fumée, le fusil en bandoulière, les pieds martelant la roche glissante. Derrière lui, un seul coup de feu claqua comme un coup de tonnerre.
Une douleur éclata dans son épaule. Drake tomba à genou, l’adrénaline s’opposant à la brûlure vive. Il pivota, montant le fusil même en serrant les dents. L’éclair du tir déchira l’obscurité, révélant la silhouette d’un homme qui levait à nouveau son arme. Dans ce bref instant, chasseur et proie se fixèrent à travers le voile de fumée et de pluie. Mais Ethan Drake ne céda pas. Il tira instinctivement, et l’écho de sa détonation se perdit dans la nuit. Puis il disparut dans la brume roulante. Quelque part, parmi le vacarme de l’orage, suspendu dans l’air : le défi ultime ne faisait que commencer.
Confrontation finale : Survivre ou mourir
À la lueur naissante de l’aube, Ethan Drake avait parcouru près de deux kilomètres de jungle, la cheville brisée. Chaque mouvement lui arrachait un gémissement, mais son orgueil fracassé le poussait en avant. Son esprit s’emballait au rythme de son pouls, rejouant toutes les histoires qu’il avait racontées dans les bars tamisés : rhinocéros en furie sur la savane, loups sylvestres dans les bois du Nord. Aucune ne lui avait enseigné l’humilité comme celle-ci. Il n’aspirait plus à un trophée ; il ne voulait plus qu’une chose : survivre.

Il atteignit la crête dominant une anse étroite, où se balançait un canoë mince amarré sous des branches pendantes. Morgan Finch se tenait sur la rive, un sourire en coin dissimulé sous un feutre, le fusil calé négligemment contre le torse. La carte de l’île, grossièrement griffonnée dans son dernier carnet, avait guidé Drake jusqu’ici. Mais Finch n’avait jamais dévoilé toutes ses cartes. Drake rampait jusqu’à couvert, trainant le fut du fusil. Deux cents mètres les séparaient. Il s’arrêta derrière un bloc de pierre brisé et murmura : « Ça s’arrête ici. »
Finch rangea son fusil et laissa échapper un rire léger, échos sinistres se mêlant aux vagues. Les nuages filaient au-dessus d’eux, projetant des ombres dans la mer tourbillonnante. Drake expira, la fumée de sa respiration se dissipant. Il lança une « flash bang » de fortune : un assemblage de fusées de détresse qu’il avait récupérées. Un rugissement assourdissant et un éclair suffirent à aveugler Finch juste assez longtemps pour que Drake surgisse de sa cachette. Il tira sans viser, un tir désespéré qui frappa l’épaule de Finch et fit choir son fusil dans les eaux peu profondes. Finch, agrippant sa blessure et son arme, se traîna vers un abri. Drake pressa la détente une seconde fois et regarda l’homme disparaître derrière les palmiers.
Le sang battait désormais dans leurs deux veines. Drake le poursuivit, la détermination farouche, la rage aveuglante aiguisant tous ses sens. Finch trébucha à la lisière des bois, et Drake réduisit la distance d’une foulée obstinée. Ils se retrouvèrent à l’orée de la jungle, entrelacés dans un enchevêtrement de racines et de lianes patinées par d’innombrables pas. Face à face dans un rayon de soleil levant, ils firent un pas en avant à l’unisson. Leurs fusils s’élevèrent, mais cette fois Drake brisa la crosse sur la mâchoire de Finch. L’homme s’effondra, les yeux écarquillés de stupeur.
Ethan resta debout au-dessus de lui, la poitrine haletante, alors que Finch crachait la terre. Un instant, chasseur et proie s’observèrent, l’équilibre inversé. Puis Drake abaissa son fusil, une lueur de compassion traversant son regard. Il tendit la main. Finch la saisit après un long silence, et tous deux émergèrent de la jungle sous l’œil impassible du zénith. Aucun mot n’échappa à leurs lèvres jusqu’à ce qu’ils atteignent le bateau affrété, Drake tournant son épaule meurtrie loin du ciel silencieux de l’île. Finch entoura ses doigts autour de la crosse abandonnée et hocha la tête. Le jeu était terminé, et le chasseur avait enfin compris ce que signifiait être chassé.
Conclusion
Le soleil scintillait sur la mer agitée tandis qu’Ethan Drake se hissait péniblement dans le bateau affrété. Il était venu en quête d’adrénaline, mû par une vie de prouesses et de conquêtes ; il repartait avec un tout autre trophée : la remise en question. Morgan Finch était assis en face, l’épaule bandée de fortune, le reflet de ses fusils reposant quelque part dans la coque. Aucun des deux n’échangea un mot durant un long moment, perdus chacun dans leurs pensées. Drake contempla le rivage de l’île, où les lianes engloutissaient les pièges abandonnés et où le silence recouvrait chaque empreinte. Une vague d’admiration pour cette terre, pour les forces invisibles qui régissaient la relation entre prédateur et proie, l’envahit. Ce qu’il avait appris durant ces trois jours périlleux le marquerait bien longtemps après la guérison de sa cheville. L’île avait dépouillé son arrogance pour révéler l’essence même de la survie : le courage n’est pas bravade aveugle mais risque calculé, chaque chasseur est vulnérable, et l’existence peut basculer en un instant quand celui qui traque devient traqué. Les premiers goélands tournoyaient dans le ciel, et Drake se redressa lentement pour offrir à Finch un dernier signe de tête. Aucun mot n’était nécessaire : ils avaient tous deux parcouru ce mince fil entre le pouvoir et le péril. Pour Drake, la leçon restait à jamais gravée.