Introduction
Pas toute légende commence dans l’ombre. Par une soirée légèrement pluvieuse à Londres en 1883, les rues éclairées au gaz se paraient d’un voile argenté de pluie ; le cliquetis des hansom-cabs et l’odeur du charbon s’échappaient entre les élégantes demeures de Mayfair. Dans un salon tapissé de cartes de voyage usées et garni de reliques venues des quatre coins du monde, Allan Quatermain restait pensif, parcourant sa dernière correspondance. En face de lui, Sir Henry Curtis – grand, résolu, aux yeux d’acier gris – tambourinait des doigts sur un bureau en palissandre, visiblement excité. Près de la cheminée, le robuste capitaine John Good réajustait son monocle et redressait sa moustache, le visage à la fois joyeux et anxieux.
Éparpillés sur une table, un revolver à poignée ivoire, une boussole plus vieille que la reine Victoria et une sacoche de cuir élimé laissaient deviner un départ imminent. L’atmosphère bourdonnait de promesses de découverte, et depuis qu’un mystérieux visiteur avait glissé entre les mains de Quatermain une carte jaunit par le temps, chacun savait qu’il ne s’agissait pas d’une expédition ordinaire. La rumeur localisait les légendaires mines du roi Salomon, taillées dans la roche africaine et regorgeant d’une richesse ancienne au-delà de toute imagination, quelque part au-delà du monde connu – là où le brouillard blanc couronne des montagnes noires et où des rivières serpentent à travers une terre desséchée.
Pour Quatermain, une vie passée aux confins du continent avait forgé non seulement son habileté mais aussi son humilité devant les secrets de l’Afrique. Aucune des trois hommes n’était naïf quant aux rigueurs du continent – terrains hostiles, faune redoutable et dangers plus insaisissables encore. Pour autant, l’attrait de l’inconnu et la perspective de révéler le trésor le plus célèbre de l’Histoire, mêlés à l’espoir de secourir un explorateur perdu, prétendument retenu captif par des rois tribaux, se révélèrent irrésistibles. Carte en main, carnets sous le bras et pacte scellé par des poignées de main déterminées, le trio se lança dans une aventure qui allait les transformer à jamais.
Into the Heart of Africa
Le voyage dans l’Atlantique vers le sud fut un tourbillon d’écume salée, d’étoiles inconnues et d’anticipation nerveuse – nul ne dormit paisiblement, hanté par des rêves d’or salomonien ou par le sort qui les attendait dans les terres intérieures. Quatermain, aguerri aux chaleurs et aux frimas africains, prit naturellement le commandement tandis que l’on préparait les mules de bât, qu’on rassemblait des barils d’eau et qu’on recrutait une petite mais fidèle escorte. Kivuli, un chef zoulou expérimenté, maître des sentiers invisibles et des dangers cachés, fut le dernier à se joindre à eux, mais sa présence s’avéra aussi essentielle que le fusil le plus précis ou la relique la plus sacrée.

La caravane cliquetait à travers postes de traite et villages, les ombres s’allongeant tandis que la forêt laissait place à la savane et que le soleil, implacable, frappait sans relâche. Les journées se fondaient en un rythme : chaleur écrasante le jour, nuits africaines soyeuses, air vibrant du bourdonnement des insectes et adouci par le parfum des acacias en fleur. Mais à mesure que le paysage virait du vert à l’ocre et que la carte se faisait plus vague, le véritable défi commença. Le terrain était plus impitoyable que n’importe quelle histoire contée dans un salon londonien : tourbillons de poussière glissant sur la terre craquelée, montagnes semblables à l’échine de dieux anciens se dessinant dans la brume bleutée à l’horizon.
Un soir, alors que la troupe traversait une rivière, une brusque ruée de crocodiles effraya les mules. Deux caisses – dont l’une contenait des fournitures médicales précieuses – furent emportées par le courant. Le capitaine Good, décontenancé mais farouchement déterminé, ranima les esprits par une histoire grivoise, tandis que Sir Henry pansait un léger coup à l’avant-bras. Quatermain, fidèle à son pragmatisme, pressa Kivuli de conseils : parfois, le chemin semblait guidé plus par l’instinct que par la boussole ou les étoiles.
Mais c’est le désert du Kalahari qui suscit a chez eux la plus vive crainte et un respect profond. Les provisions avaient été rationnées, mais l’immensité sablonneuse épuisait hommes et bêtes. Les lèvres gercées de Sir Henry, les pommettes creusées du capitaine Good et les mises en garde voilées de Kivuli témoignaient de la rareté de l’eau et de sa valeur vitale. Le soir, près de maigres feux, Quatermain prodiguait ses conseils sur la patience et l’humilité, et parfois, le désert semblait prêter l’oreille. Lorsque, enfin, ils débouchèrent dans les bras verdoyants d’une oasis, la saveur de l’eau claire fut un véritable sacrement.
Au moment où ils atteignirent les pics déchiquetés censés abriter les mines de Salomon, leurs corps étaient amaigris mais leur volonté plus vive que jamais. Pourtant, les épreuves africaines n’étaient pas seulement géographiques ou matérielles. Une nuit de pleine lune, le groupe rencontra un village Kupa isolé. La méfiance était palpable, mais grâce à Kivuli, habile médiateur, ils furent reçus – de justesse. Un ancien, roulant du tabac à priser dans sa paume, évoqua « La Montagne qui Chante » et « la Vallée Où Errent les Ombres ». Il lança un avertissement : plus on creuse à la recherche d’or, plus l’esprit de l’homme est éprouvé.
Ils poursuivirent leur route, toujours plus profondément plongés dans le mythe et le danger, le cœur vibrant à la fois de peur et d’espoir fiévreux.
The Forbidden Mountains
C’est au moment où le tonnerre grondait au loin que les montagnes sombres et acérées émergèrent de la brume matinale : les Montagnes de Salomon, leurs sommets aiguisés comme des lames, leurs flancs drapés d’une forêt impénétrable. L’ascension serpentait sur des escarpements rocheux, brûlés par le soleil et lessivés par la pluie. Des lianes s’agrippaient aux parois, aussi épaisses qu’une corde de navire, et chaque écho semblait réveiller une présence millénaire. Kivuli murmurait des récits de chants tissés dans le vent et la pierre, contes destinés à effrayer les enfants, bien qu’il ne parvînt pas toujours à dissimuler son propre tremblement.

Avec la carte et la mémoire de Kivuli, ils découvrirent une entrée à moitié ensevelie : une dalle gravée de caractères indéchiffrables, flanquée de statues de basalte en sentinelles. L’air à l’intérieur était frais, dense, presque suave ; si différent du monde aride extérieur qu’il en paraissait enchanté. À la lueur des torches, ils s’enfoncèrent dans des galeries sinueuses. Les stalactites scintillaient, et les murs portaient des fresques estompées : rois brandissant des sceptres, cortèges d’éléphants, boucliers étoilés.
À certains intervalles, les tunnels se divisaient puis se rejoignaient, comme les brins entremêlés d’une couronne. D’étranges pièges et énigmes, dormants depuis des siècles, les attendaient : pierres roulantes, fausses dalles, sanctuaires exigeant prières silencieuses dont seul Kivuli semblait connaître les mots. Une fois, un glissement fit basculer le capitaine Good dans une chambre secrète emplie d’ossements – sinistre rappel que l’avidité avait conduit bien des âmes à la perdition.
Poursuivant leur progression, les explorateurs débouchèrent dans une vaste caverne dont le plafond se perdait dans l’ombre. Là, entre des piliers naturels drapés de mousse et de feuilles d’or, un escalier en spirale menait à une plateforme. Sur celle-ci trônait un siège – vide, mais couronné d’or et flanqué de jarres débordant de gemmes brutes. Sir Henry, émerveillé, murmura : « Nous l’avons trouvé : l’Histoire figée dans la pierre. » Mais Quatermain les exhorta à la prudence : les trésors n’appartiennent jamais à celui qui les découvre seul. Ils répertorièrent ce qu’ils purent, esquissèrent le trône et les hiéroglyphes étranges, mais laissèrent beaucoup de richesses intactes.
Leur sortie se révéla plus périlleuse que l’entrée. Des secousses sismiques résonnèrent – prix peut-être de leur intrusion. Kivuli cria qu’il fallait se hâter. Des blocs de pierre sculptée s’effondraient derrière eux tandis qu’ils fuyaient. Lorsqu’ils jaillirent enfin dans la lumière crue du jour, tous – Sir Henry, Good, Kivuli et même Quatermain – tombèrent à genoux, reconnaissants, cheveux et vêtements saupoudrés de la poussière de la légende. Derrière eux, les mines de Salomon se refermèrent sous un éboulement, comme si la colline n’avait jamais livré son secret.
Return and Revelation
À leur sortie des montagnes, la compagnie découvrit un monde subtilement transformé. Bien plus que poussière et contusions, ils portaient des cicatrices intérieures – gravées par l’émerveillement, le péril et la prise de conscience que certaines richesses méritent de rester enfouies. Leur retour hors des collines ne fut pas un triomphe, mais une humble survie.

De retour au village Kupa, ils furent accueillis avec un respect mêlé de suspicion : des étrangers revenus des lieux où personne d’autre n’osait s’aventurer. Kivuli retransmit leur récit – gardiens, énigmes et trône qu’aucun roi vivant ne pourrait revendiquer. Les anciens écoutèrent, puis offrirent un grand festin. Au gré du maïs rôti et du miel sauvage, les histoires fusèrent : comment l’ambition et la sagesse doivent cohabiter, et comment ce qu’on découvre importe moins que ce qu’on apprend en chemin. Lorsque Sir Henry présenta la plus petite des gemmes, Kivuli la replaça doucement dans sa paume. « Honore la terre, honore l’histoire », murmura-t-il. Il semblait que le trésor ne franchissait pas toujours les frontières.
Le retour à travers désert et plaine offrit de nouveaux prodiges : troupeaux d’éléphants glissant comme des spectres antiques ; enfants traçant dans la poussière les empreintes des bottes de Quatermain, fascinés. Le groupe était désormais plus restreint, les cœurs plus lourds, mais les liens forgés dans l’adversité s’étaient révélés indestructibles. Quand ils firent enfin leurs adieux à Kivuli et levèrent l’ancre pour l’Angleterre, chacun sentit l’Afrique les rappeler – une nostalgie pour les couchers de soleil sur la terre nue, pour le grondement lointain des chutes et pour les secrets que seul ce continent peut porter.
À Londres, les récits de leur périple enflammèrent les salons et les journaux à un penny, mais toutes les merveilles ne pouvaient être contées. Allan Quatermain, fidèle à son scepticisme, publia un mémoire sous-estimant l’or et célébrant le courage, l’humilité et le respect profond que leur voyage leur avait inculqués. Sir Henry Curtis, transformé à jamais, finança discrètement des écoles en Afrique ; le capitaine Good reprit du service, toujours le jaspe vert niché dans sa veste – un fragment de légende pour lui rappeler l’aventure et les compagnons qui avaient partagé son sort.
Le trésor du roi Salomon se révéla, en fin de compte, autant une énigme de courage et de conviction qu’un amas de rubis et d’or. Les mines, ces lieux secrets, offrirent un miroir à ceux qui eurent l’audace de s’y plonger : une vérité plus durable que n’importe quel trésor tapi aux confins du monde.
Conclusion
Dans leur quête des mines du roi Salomon, Allan Quatermain et ses compagnons étaient partis à la recherche de la preuve étincelante d’un mythe, mais ils découvrirent bien plus riche : une terre d’une beauté indomptable et des peuples dont les coutumes exigeaient humilité et adaptation. Les épreuves sur les pistes désertiques et montagneuses firent tomber les illusions arrogantes, laissant place au courage, à la camaraderie et à un respect renouvelé pour les histoires ancrées dans le sol africain. Les mines elles-mêmes – refermées par la colère des éléments ou le destin – ne devinrent pas qu’une légende chuchotée, mais un testament intime du risque, de l’émerveillement et des limites de l’ambition. De retour en Angleterre, chacun portait ce voyage dans ses os : non pas comme un inventaire de joyaux, mais comme un récit gravé dans l’émerveillement et la gratitude. Pour quiconque osera s’aventurer vers l’inconnu, la véritable récompense est d’apprendre à voir le monde – et soi-même – sous un regard renouvelé.